J’arrive un 1er mai chez le collectif Refikler, à 300km au sud d’Istanbul, dans la région de Bayramiç. Installé dans le hameau abandonné de Güvemcik au milieu d’une forêt de pins, ce groupe de copains vit et travaille ensemble depuis plus de 10 ans. Et Refikler ? En ancien turc, cela signifie les compagnons.
Depuis 2013, ils vivent ensemble et produisent leur nourriture, dans l’idée de montrer qu’un autre monde est possible. Ils développent au fil des années une diversité d’activités et un nombre de partenaires impressionnant. Ils créent une économie et un réseau de consommation alternatif, des relations de confiance entre les membres d’une même grande communauté de valeurs.
Leur but n’est pas que tout le monde adopte le mode de vie de la commune mais de diffuser leurs idées pour participer à un changement lent, concret. Un changement dans le mode de production agricole, l’effacement des rapports de hiérarchie et des privilèges, du concept de propriété privée, de travail…
Leur ambition est de rendre ce mode de vie accessible et reproductible partout. Ils ne sont pas attachés à un terrain et ont d’ailleurs déménagé 3 fois ces dernières années.
Leurs connaissances et leurs amitiés sont les bases solides d’une communauté qui peut s’installer partout.
En 2021, ils lancent une coopérative, la Bayramiç Değişim Kooperatifini , (Cooperative d’échange de Bayramic ) pour officialiser la vente de leurs produits, multiplier les partenariats avec d’autres producteurs locaux et donner de la visibilité à leurs idées.
Au milieu des pins…
Le collectif s’installe d’abord au sud de la Turquie, dans la région méditerranéenne près de Fethiye avant de déménager dans la région de la mer de Marmara, près de Bayramiç. Les membres de la commune viennent d’un peu partout en Turquie. Suite à des conflits de voisinage et avec l’administration locale, ils déménagent une seconde fois, dans la même région cette fois.
Et ils trouvent exactement ce qu’il leur faut : 8 hectares de terres agricoles fertiles et une ancienne fabrique de fromage, un bâtiment immense qui n’a jamais été en fonction. Après pas mal de travaux de renovation, ils commencent à y installer leurs différentes activités. Un espace de travail et de stockage conséquent, qui correspond parfaitement au besoin de la jeune coopérative.
En plus de la fabrique et des terres, ils sont locataires de plusieurs petites maisons, qui servent de lieux de vie collective et individuelle. Un dizaine de chambres, une cuisine ouverte sur un salon, un atelier et un garde manger sont partagés entre une quinzaine de personnes. Cependant, tous les membres du collectif ne vivent pas sur place. Certains logent dans le village plus bas de Bayramiç, d’autres à Istanbul. Ils essaient de maintenir une règle : se retrouver tous les jours pour le petit dejeuner et le dîner.
Ça coule de source
La fluidité du quotidien m’impressionne. Ici pas de tableau d’organisation ou de calendrier comme dans beaucoup de lieux collectifs visités lors du voyage. Pas non plus besoin d’assemblée hebdomadaire car ils se retrouvent naturellement tous les matins et soirs pour manger ensemble.
Autour de la table et autour de (nombreux) verres de thé, ils discutent de leurs projets, planifient, échangent sur les difficultés, les réussites, les besoins.
L’individu s’efface pour le bien du collectif, et même les couples privilégient le groupe à leur partenaire pour ne pas créer de divisions.
Ils abolissent toute relation de hiérarchie et tentent d’être polyvalents dans leurs tâches, pour ne pas prendre le poid d’une responsabilité particulière. Chacun à évidement ses spécialités et préférences mais ils essaient autant que possible d’être interchangeables, en privilégiant le groupe.
Les limites d’un tel fonctionnement ? Il requiert une confiance, une implication totale, et une prise de responsabilités quotidienne par les membres du collectif. Le fait qu’ils soient amis de longue date et animés par les mêmes valeurs rend-il cela possible ? Je ne reste pas suffisamment longtemps et ne parle pas le turc pour comprendre toutes les subtilités du fonctionnement du groupe. Comment faire en sorte que la répartition des tâches soit juste et adaptées aux possibilités de chacun ? Leur modèle donne en tout cas à réfléchir.
Qualité et diversité
Mais alors que produisent-ils ? La liste est longue !
Olives et huile d’olive, tahini et mélasse, miel, confitures et marmelade, sauce et concentré de tomate, légumineuses, fruits et légumes secs, farines, vinaigres, cornichons et produits fermentés, épices, tisanes, huiles essentielles, de macération et fixe, baume et pommade…S’y ajoutent le pain au levain, les fruits et les légumes frais pour le marché. Et du vin pour la conso perso !
Une à deux fois par semaine, les fours de la boulangerie fument. Merve et Nur s’activent pour confectionner les 150 pains au levain. Certains aux noix, tomates séchées ou sesame, ils se conservent très facilement une semaine.
Lorsque la saison des récoltes commence l’ancienne fabrique de fromage s’anime : couper, hacher, bouillir, stériliser, mettre en pot, étiqueter…Ils emploient des femmes du village pour les aider, offrant un travail moins dur que celui des champs et un lieu sûr de sociabilité.
Après avoir été planté, coupé, séché et récolté les graines de sésame passent dans cette presse pour en faire du tahini. Leur prochain projet est de planter des cacahuètes pour en faire du beurre. Lors de mon passage, tout le monde se mettra au décorticage minutieux de 100kg de graines entières… Je n’ai jamais vu autant de cacahuètes à l’ apéro !!
Autre poudre magique qu’ils produisent, du tarhana, un mélange fermenté et déshydraté de farine, yaourt, oignons, tomates et poivrons, qui devient une soupe épaisse délicieuse une fois réhydratée.
C’est dans un laboratoire improvisé que sont fabriqués les produits cosmetiques naturels, crèmes, macérats huileux, pommades ou baumes à partir de fleurs et plantes aromatiques. Les centaines de claies de séchage sont impressionnantes et laissent bien ridicule mon petit sechoir solaire…
Tous les produits de la coopérative ne sont pas cultivés sur place. Le collectif gère d’autres terrains dans la région et ailleurs en Turquie et ils s’associe avec d’autre agriculteurs. Ils développent aussi des partenariats dans d’autres domaines. À Bayramiç se trouve une usine de vermicompostage, qui produit du fertilisant liquide et solide naturel. Ils travaillent aussi avec une menuiserie éco-responsable (Idawood), qui fait de la conception et de la construction de bungalow et de mobiliers en bois.
Enfin, en plus de toutes ces activités, le collectif Refikler fait du conseil et de la conception de ferme en permaculture, pour aider l’installation de nouveau petits exploitants, respectueux de l’environnement…Cela va sans dire, mais évidemment, toute la production se fait sans pesticides ou engrais chimique, en utilisant des semences anciennes et résistantes.
Tout ces beaux produits la Bayramiç Değişim Kooperatifini les vend par 4 voies differentes : en ligne, au magasin de Bayramiç, à Istanbul au marché de producteurs de Kadıköy, et depuis mai 2024, dans un nouveau magasin également dans le quartier de Kadıköy. J’y serai au moment de leur journée d’ouverture, qui sera un beau succès !
Déconstruire pour mieux batir l’avenir ?
Cette semaine avec @refiklerkomunu m’a fait repenser pleins d’acquis, sur les heures de travail, les relations personnelles, la place de chacun dans un groupe ou les bienfaits de la vie ensemble. Je repars avec des questionnements et l’envie d’expérimenter ce mode de vie en France.
« Les compagnons prétendent qu’une nouvelle société et un autre monde sont possibles ; […] ils visent à créer et accroître des pratiques de vie communes avec le rêve d’un monde sans domination, sans hiérarchie et sans privilèges. Source : Refikler
Un grand merci à Merve, Nur, Mugue, Merte, Çagla, Ozgur, Mehmet, Adnan, Eray, Huseyin, Coskun, Paul, Marion… et tous les autres dont je n’ai pas retenu le nom (pardon!)
Pour en savoir plus, vous pouvez visiter leurs sites et reseaux sociaux. Un reportage video sera a retouver sur la chaine youtube ecoline roule 🌏
ÉCOline roule 